Architecture du quartier des Coteaux à Mulhouse
Le quartier des Coteaux à Mulhouse constitue l’un des exemples les plus emblématiques de l’architecture moderniste française des années 1960-19701. Situé dans l’ouest de la ville, ce grand ensemble architectural témoigne des ambitions urbanistiques de l’époque et des principes du mouvement moderne appliqués à grande échelle.
Genèse et conception architecturale
Contexte de création
Le quartier des Coteaux naît dans le cadre d’une Zone à Urbaniser en Priorité (ZUP), l’une des dix premières créées en France en janvier 19601. Cette opération s’inscrit dans la politique nationale de construction massive de logements pour répondre à la crise du logement d’après-guerre1. Le projet s’étend sur 36 hectares situés entre la RN 66 Mulhouse-Belfort et le centre d’enseignement technique, avec un programme initial de 3 000 logements2.
L’architecte Marcel Lods et les principes modernistes
Marcel Lods, nommé architecte coordinateur en 1960, est un disciple de Le Corbusier et un partisan du mouvement moderne27. Diplômé en 1923, il avait déjà construit des logements sociaux à Paris et en région parisienne dès 19287. Pour les Coteaux, Lods s’appuie sur les quatre fonctions de la ville définies par les CIAM (Congrès Internationaux d’Architecture Moderne) : habiter, travailler, circuler et se récréer2.
Le projet de Lods place l’Homme au cœur de la conception architecturale, avec pour maîtres mots la sécurité et le silence2. Il vise à offrir aux habitants les “conditions de nature” chères aux urbanistes modernes : accès à un ensoleillement minimum, à de la verdure et à de l’espace1.
Principes architecturaux et urbains
Le concept de la dalle et des terrasses-garages
L’innovation majeure du projet réside dans le concept des “terrasses-garages”12. Lods dessine au pied de chaque tour ou barrette une dalle de béton sous laquelle sont garées les voitures des résidents1. Cette technique, facilitée par la configuration vallonnée du terrain, devait permettre de créer d’excellents terrains de jeux au-dessus des parkings2.
Ces dalles de béton, d’une superficie totale de 7 500 m² dans certains secteurs, constituent une caractéristique architecturale emblématique du quartier8. Elles témoignent de la volonté de séparer les flux automobiles et piétons, principe fondamental de l’urbanisme moderne1.
Typologie des bâtiments
Le quartier se compose de différentes typologies architecturales :
- Tours de grande hauteur : Les tours Plein Ciel, conçues par Lods lui-même, culminent à 72 mètres de hauteur sur 24 étages, abritant 142 logements chacune1015
- Barres d’immeubles : Constructions horizontales de 12 à 18 étages selon les secteurs1
- Immeubles en hauteur : Variant de 13 à 18 étages (35 à 50 mètres de hauteur) selon le plan masse initial1
Organisation spatiale et circulation
L’organisation spatiale du quartier suit les principes du zonage fonctionnel1. Les voies de circulation contournent la zone résidentielle, innovation pour Mulhouse à l’époque, et le sol est préservé par la construction en hauteur2. Cette approche permet de libérer de l’espace au sol pour les espaces verts et les équipements collectifs1.
Le plan masse prévoit cinq voies à grande desserte autour du quartier, l’accès intérieur étant assuré par des voies d’accès aux immeubles reliées aux terrasses-garages1. Cette conception vise à garantir la sécurité et le silence recherchés par l’architecte2.
Évolution du projet architectural
Modifications du plan initial
La conception architecturale a subi des modifications importantes au cours de la construction. En 1970, après la démission de Marcel Lods, le plan masse est modifié2. Un ensemble cruciforme composé de trois îlots d’habitation indépendants apparaît entre les rues Matisse, Millet et Delacroix2.
Cette modification entraîne une baisse de l’ensoleillement minimal (passant de plus de 2 heures à 2 heures par jour) et une augmentation de la densité à l’hectare (de 58 à 92 logements par hectare)2. Cette densification imposée par les autorités gouvernementales pour équilibrer le bilan financier rompt avec les “conditions de nature” initialement prévues2.
Réalisation par tranches
La construction s’étale sur quinze ans (1962-1975) en quatre tranches distinctes1. Chaque phase débute par d’importantes opérations de terrassement, de nivellement et de drainage du terrain en raison de la configuration vallonnée du site1. À l’achèvement en 1975, le quartier compte 3 679 logements pour une population de 18 000 habitants2.
Caractéristiques techniques et matériaux
Innovation constructive
L’architecture des Coteaux fait appel aux procédés de construction modernes de l’époque2. Les immeubles utilisent des structures en béton armé permettant la construction en hauteur tout en libérant l’espace au sol1. Les dalles de béton constituent un élément technique central, alliant fonction de garage souterrain et d’espace de vie extérieur8.
Topographie et adaptation au site
Le site présente une topographie marquée par la présence de talwegs, fortement remaniée lors de la construction avec la création de différents plateaux accueillant les ensembles de logements3. Cette topographie chahutée crée des dénivelés et des talus parfois trop importants pour assurer des continuités urbaines satisfaisantes3.
Impact architectural et patrimonial
Inscription dans l’histoire urbaine
Le quartier des Coteaux marque définitivement le paysage mulhousien en introduisant une forme urbaine inédite dans la ville1. Ces tours et barres du grand ensemble constituent une rupture avec les tissus d’habitat proches et témoignent d’une façon de bâtir caractéristique des années 19607.
Reconnaissance patrimoniale
Cette architecture moderniste fait aujourd’hui partie du patrimoine au même titre que l’ensemble industriel DMC du 19ème siècle ou les hôtels particuliers du 18ème siècle7. Le quartier témoigne des ambitions urbanistiques des Trente Glorieuses et de l’application concrète des théories du mouvement moderne à l’échelle d’un quartier entier1.
Défis architecturaux contemporains
Vieillissement du bâti
Après plus de cinquante ans d’existence, l’architecture du quartier montre des signes de vieillissement36. Les immeubles délabrés et les problèmes d’étanchéité des dalles révèlent les limites de certaines innovations techniques de l’époque8. L’état technique et d’entretien des logements nécessite aujourd’hui une prise en charge rapide6.
Projets de transformation
Le Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain (NPNRU) prévoit des transformations majeures de l’architecture du quartier avec la démolition de 400 à 650 logements sociaux d’ici 20304. Le projet vise à créer un “village urbain” plus humain, marquant une rupture avec les principes architecturaux originels4.
L’architecture du quartier des Coteaux représente ainsi un témoignage exceptionnel de l’urbanisme moderniste français, illustrant à la fois les ambitions et les limites de cette approche architecturale. Son évolution actuelle interroge sur la préservation et l’adaptation de ce patrimoine du XXème siècle aux enjeux urbains contemporains.
