Histoire de l’entreprise DMC à Mulhouse

Les origines : 1746-1800

L’histoire de DMC (Dollfus-Mieg et Compagnie) commence en 1746 à Mulhouse, avec la création de la première manufacture de toiles peintes dans la rue de la Loi, en plein cœur de la ville39. Cette aventure industrielle est initiée par Jean-Henri Dollfus, Jean-Jacques Schmalzer et Samuel Koechlin, qui ont l’idée révolutionnaire de fabriquer des “indiennes” – ces tissus imprimés colorés développés à l’origine par des artisans en Inde14.

Jean-Henri Dollfus change d’associés à plusieurs reprises au cours de cette période fondatrice3. En 1752, il s’associe d’abord à Jean-Michel Hartmann pour fonder une entreprise d’impression sur étoffes, puis en 1764, il quitte cet établissement pour créer “Dollfus et Hofer”, qui devient “Jean Dollfus” en 1777, puis “Jean Dollfus père”39.

La naissance officielle de DMC : 1800

C’est Daniel Dollfus, fils de Jean-Henri, qui donne naissance à la société DMC telle qu’on la connaît23. Le 21 mars 1800, il fusionne l’entreprise de son père avec celle de son beau-père (Dollfus-Vetter et Cie) pour créer officiellement Dollfus-Mieg et Compagnie, grâce à l’apport financier de son épouse Anne-Marie Mieg1215.

Daniel Dollfus établit strategiquement ses premiers bâtiments à Dornach, un petit village voisin de Mulhouse, le long du Steinbaechlein, un cours d’eau indispensable pour la teinture et l’impression des toiles238. Cette localisation offrait également de vastes étendues de prés pour étendre les tissus3.

L’expansion industrielle : 1800-1850

DMC diversifie rapidement ses activités pour contrôler l’ensemble de la chaîne de production textile39. En 1806, l’interdiction d’importer des toiles pousse l’entreprise à se lancer dans le tissage, employant de nombreux tisserands à domicile dans une quinzaine de communes du Haut-Rhin3. Une filature mécanique est créée en 1812, permettant à DMC d’assurer tous les stades de production d’un tissu23.

L’entreprise devient rapidement une grande manufacture avec 150 tables d’impression dès 1800, alors que la plupart des autres manufactures n’en possèdent qu’une cinquantaine3. DMC se positionne comme propriétaire des houillères de Ronchamp dès 1812, dont elle était auparavant la principale cliente2.

L’âge d’or sous Jean Dollfus : 1820-1888

Jean Dollfus, fils de Daniel, entre dans l’entreprise en 1820 et devient le véritable patron à partir de 185039. Avec ses frères Daniel (chimiste responsable du blanchiment et de la teinture), Émile (spécialisé dans la filature et le tissage) et Mathieu (responsable du bureau parisien), il structure l’organisation familiale3.

Jean Dollfus, aidé de son gendre Frédéric Engel, développe une politique d’innovation constante et mène une politique sociale avant-gardiste3426. Frédéric Engel-Dollfus, imprégné des idées saint-simoniennes, révolutionne l’entreprise par la mécanisation et l’intégration du processus industriel26. Il développe notamment la production de fil à coudre et de coton à broder qui s’impose sur les marchés mondiaux26.

Innovations sociales pionnières

DMC se distingue par ses innovations sociales remarquables420. Jean Dollfus crée en 1864 une “association des femmes en couches” qu’il finance personnellement pour payer intégralement le salaire de ses ouvrières jusqu’à leur reprise du travail après l’accouchement, créant ainsi l’ancêtre du congé maternité20. En 1866, il réduit la journée de travail de 12 à 11 heures sans réduction de salaire20.

L’entreprise construit dans les années 1880 un immense réfectoire en bois et briques rouges pouvant accueillir jusqu’à 600 couverts, témoignant de l’ampleur des effectifs et de l’attention portée au bien-être ouvrier4. Ce bâtiment est aujourd’hui inscrit aux Monuments historiques depuis 20154.

L’apogée industriel : fin XIXe – milieu XXe siècle

DMC devient au XXe siècle l’un des plus grands groupes textiles et industriels européens27. L’entreprise emploie jusqu’à 30 000 salariés dans les années 196048, avec un pic de 16 000 employés dans les années 1970 selon certaines sources25, faisant d’elle un pilier économique majeur de Mulhouse et de l’Alsace.

L’entreprise est cotée à la bourse de Paris depuis 19222. Elle se spécialise progressivement dans les produits de qualité, notamment le fil à broder Mouliné, disponible dans plus de 500 couleurs et devenu la référence mondiale dans les modèles de broderie15.

Les mutations et difficultés : 1961-2009

La fusion de 1961

En 1961, DMC fusionne avec l’entreprise lilloise Thiriez-Cartier-Bresson, marquant la fin de son indépendance et de son caractère spécifiquement mulhousien23. Cette fusion entraîne l’adoption de l’emblème de Thiriez-Cartier-Bresson, la tête de cheval, qui remplace l’ancienne cloche de DMC39.

La fusion permet une modernisation de l’appareil de production et un gain de dynamisme jusqu’aux années 198039. Cependant, elle marque également la transformation de DMC d’entreprise familiale mulhousienne en groupe industriel3.

Les crises successives

Les chocs pétroliers des années 1970-1980 entraînent une diminution des commandes39. Le premier plan social est mis en place en 1985, inaugurant une série de restructurations3. L’entreprise subit de plein fouet la concurrence asiatique et la baisse du dollar19.

En 2008, DMC annonce de nouvelles “mesures de restructuration significatives” face aux difficultés croissantes19. L’entreprise lance deux plans sociaux prévoyant la suppression d’environ 200 emplois sur 87019. À cette époque, DMC avait déjà supprimé les deux tiers de ses effectifs dans le Haut-Rhin en dix ans, passant de plus de 2 000 salariés en 1998 à 1 170 en 200819.

La liquidation de 2009

L’ancienne société DMC est mise en liquidation judiciaire le 18 février 20091825. Ses actions sont radiées d’Euronext Paris le 24 avril 200918. Cette liquidation marque la fin d’une époque pour l’entreprise historique mulhousienne.

La renaissance : 2009-2025

Les reprises successives

Dès 2009, l’activité de DMC est reprise par Bernard Krief Consulting (BKC), dirigé par Louis Petiet2125. La nouvelle entité DMC SAS affiche dès 2009 un chiffre d’affaires consolidé de 57,2 millions d’euros et un bénéfice de 5,7 millions d’euros21.

En 2016, le fonds d’investissement britannique BlueGem Capital Partners rachète DMC et l’intègre dans un groupe élargi comprenant Wool and the Gang (vente en ligne de fils) et Sirdar (spécialiste du tricot britannique)2225. Le groupe ambitionne alors d’atteindre 100 millions d’euros de chiffre d’affaires22.

L’ère Lion Capital depuis 2019

En février 2019, Lion Capital rachète le groupe DMC à BlueGem Capital Partners pour un montant estimé à 120 millions d’euros2528. Ce fonds d’investissement britannique, connu pour ses investissements dans la grande consommation, réunit sous l’égide de DMC Group les marques DMC, Sirdar, Wool and the Gang et Tilsatec (gants de protection)28.

Le groupe génère en 2018 un chiffre d’affaires de 90 millions d’euros avec 400 employés dans plus de 100 pays2528.

DMC aujourd’hui : leader mondial spécialisé

L’activité de production actuelle

Aujourd’hui, DMC reste fidèle à Mulhouse où elle produit tous les fils de broderie vendus dans le monde entier1227. L’usine mulhousienne, installée sur 30 000 m² et 7 hectares des bâtiments historiques en briques rouges, emploie une centaine de collaborateurs12. Elle transforme le coton le plus fin d’Égypte en échevettes de fil Mouliné déclinées en plus de 500 couleurs5.

L’entreprise produit 1 million d’échevettes de fil à broder par jour et 350 tonnes de produits finis sortent annuellement des ateliers mulhousiens512. Sa plateforme logistique d’Illzach emploie également 100 salariés12.

Les investissements récents

En 2023, DMC inaugure l’extension de sa plateforme logistique à Sausheim, représentant un investissement de 3,5 millions d’euros pour 2 000 m² supplémentaires1227. Cette extension permet de passer d’une capacité de 50 000 à 80 000 cartons, faisant de cette plateforme la principale du groupe au niveau mondial12.

L’héritage patrimonial et urbain

Le site historique de DMC fait aujourd’hui l’objet d’un ambitieux projet de reconversion urbaine1011. Depuis 2007, Mulhouse Alsace Agglomération et la Ville de Mulhouse transforment ces 110 000 m² de bâtiments industriels emblématiques sur 13 hectares en nouveau quartier urbain centré sur les arts visuels et l’économie créative1011.

Cette reconversion a déjà permis d’accueillir diverses activités : le Village d’activités, MOTOCO (ruche de 140 artistes), le CMC (centre d’escalade avec le plus haut mur indoor de France)11. Le projet inclut également la réouverture du Steinbaechlein, le ruisseau historique qui longeait le site11.

DMC incarne ainsi près de trois siècles d’histoire industrielle mulhousienne, témoignant des transformations du textile français tout en maintenant son ancrage local et son savoir-faire d’excellence reconnu mondialement.

DMC emblématique à Mulhouse
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